COURRIER

 J'ai eu mon premier contact avec ART & Démocratie par l'exposition de Johan Isselée à Orléans. Enseignant à l'école primaire dans l'enseignement public, j'ai été intéressé par votre démarche et pas trop gêné par l'appellation de votre association, n'ayant rien contre l'Art ni contre la Démocratie !, même si les deux termes associés peuvent paraître un peu démagogiques. J'ai eu entre les mains votre bulletin d'information du mois d'octobre et je vous livre ma réflexion. J'attendrais éventuellement des réponses claires pour voir, dans votre association, un outil pédagogique.
     " ART & Démocratie ", véhicule d'ésotérisme ?
     Regarder l'intérieur de la tête des autres, n'est-ce pas là ce que m'a proposé ART & Démocratie par l'exposition de Johan Isselée ? Voyeurisme ? non. Mais plus un facteur déclenchant dans la réflexion sur moi-même, sur " comment visualiser mon propre paysage intérieur ".

     Les Visions de Johan Isselée sont teintées d'ésotérisme, notamment par la présence d'un œil. C'est ce qui aura motivé, à mon avis, les interrogations du public sur le sens d'une telle exposition et, par amalgame, sur la reprise à son compte de ce sens par ART & Démocratie. Mais chaque artiste, comme chaque individu, n'a-t-il pas sa vision du monde ? En tant que telle, elle doit être respectée, appréciée par le public, voire discutée en sa présence pour être mieux comprise, mais sans jamais la condamner. L'approche de l'art doit garantir la liberté absolue de l'expression de l'auteur et d'autre part, ne pas briser l'émotion artistique du visiteur.

     En affichant ses œuvres, l'artiste accepte de faire partager mais aussi de faire réagir son public. Il faut que ce dialogue se passe sereinement pour qu'il y ait un enrichissement mutuel. L'association ART & Démocratie, en proposant de telles rencontres, doit en garantir la qualité par des objectifs clairs.

     C'est à mon avis la diversité des auteurs exposés par ART & Démocratie qui répondra aux procès d'intention visant à donner à l'association une motivation spirituelle. Ce choix est primordial dans la motivation des artistes à s'afficher à la suite les uns des autres et dans la motivation du public à se déplacer à chaque exposition dans l'espoir de varier ses émotions artistiques.


Réponse du Conseil d'Administration :

Nous vous remercions de l'intérêt que vous témoignez à notre association. Les questions et les remarques qui nous sont adressées nous permettent de mieux adapter nos moyens à notre objectif : faire comprendre que l'Art est un moyen d'Eveil et de responsabilisation individuelle, la responsabilité étant indispensable à la vie démocratique. Dans les prochaines Lettres d'Information, une rubrique sera consacrée au développement et à l'approfondissement de nos idées.

Voici quelques éléments de réponse aux questions que vous avez soulevées :

I. L'association des termes Art et Démocratie, loin d'être démagogique, répond à une nécessité sociale urgente et c'est la raison pour laquelle, en démocratie, l'éveil à la vie culturelle, à la créativité et à la citoyenneté fait partie des programmes de l'enseignement primaire, et cela sans qu'il soit expliqué aux enseignants les raisons psychologiques, psychiques et spirituelles, pour lesquelles l'approche de la beauté est un moyen d'Eveil à l'autonomie, donc à la responsabilité.

II. ART & Démocratie est apolitique, areligieux, et ne véhicule aucune doctrine mystique, ésotérique ou occulte. Les symboles, consciemment ou inconsciemment introduits dans le travail présenté, font partie intégrante de la vie psychique ou intérieure de l'être humain, et cela depuis que l'humanité existe ; la pensée, les rêves et les visions en sont peuplés.

III. L'artiste a actuellement pour fonction d'exprimer, c'est-à-dire de rendre sensible sa vie intérieure, de présenter et non plus de représenter, ce qui, en effet, n'a rien à voir avec l'exhibitionnisme et le voyeurisme, mais devient un moyen pour aider le spectateur ouvert, sans préjugés, à s'ouvrir davantage à sa propre intériorité, c'est-à-dire à son propre profond lui-même.

IV. ART & Démocratie ne prétend pas présenter une expression " d'art démocratique " comme d'autres font de " l'art religieux " ou de " l'art contemporain ". Le SEUL BUT de nos manifestations est d'AMENER LE VISITEUR A S'EXPRIMER afin qu'il prenne position en âme et conscience vis-à-vis de ce qui lui est présenté. Pour nous, il est essentiel qu'il EXPRIME SON AVIS et prenne conscience qu'il a le droit fondamental d'aimer ou de ne pas aimer, l'expérience du beau n'étant pas une affaire d'intelligence ou d'érudition.

V. En effet, si l'artiste doit être libre et le rester, il convient actuellement de redéfinir le sens de l'Art afin de bien distinguer l'Art de la décoration et du gadget, et ce qui relève de la création artistique de ce qui est divertissement, moyen de défoulement, voire de provocation. Il est mensonger et pervers de faire croire, comme certains essaient de le faire, qu'il faut pouvoir tout apprécier, que tout est beau, que tout est vrai et que tout se vaut. Là où tout est beau, il n'y a plus de beauté. Là où tout est vrai, il n'y a plus de vérité et là où tout se vaut, il n'y a plus de valeur.

VI. ART & Démocratie n'a ni la vocation (ni d'ailleurs les moyens) de doubler la fonction des organismes privés (galeries, fondations) ou officiels (musées, FRAC, DRAC, CREDAC ARC, etc.) dont la mission est de permettre aux citoyens de découvrir et d'apprécier les multiples formes d'expression artistique. Notre unique but est de faire comprendre que, dans une démocratie, l'art doit être libre de toute dictature intellectuelle et financière pour pouvoir être un moyen d'individuation et de responsabilisation.

VII. L'approche esthétique étant une question de goût, de sentiment, d'intimité, donc d'ordre purement subjectif -comme l'est le domaine des croyances-, elle doit rester absolument libre de toute pression théorique ou idéologique pour ne pas faire de l'esthétisme une nouvelle catéchèse ! On trouve beau, non pas parce que l'on comprend, mais parce que l'on aime, autrement dit parce que l'on est touché intérieurement. Le dialogue s'instaure entre l'artiste et le public dès que le spectateur est en contact avec l'œuvre ; et si ce que l'artiste exprime est clair, authentique, ce dialogue se passe de tout enrobage intello-philosophico-anthropologique qui, la plupart du temps, ne sert qu'à masquer le vide.

VIII. Pour clore cette brève mise au point, nous affirmons clairement que nous ne sommes ni des spiritualistes ni des matérialistes, mais des réalistes qui comprennent et acceptent la double polarité matière-esprit, sans laquelle on ne peut avoir une approche sensée et équilibrée de l'existence. Ainsi, tout éventuel procès d'intention à notre égard ne peut se bâtir que sur l'ignorance ou sur la mauvaise foi.

Vu l'intérêt et le sens critique dont vous témoignez, nous serions heureux de pouvoir vous compter parmi nos membres.

ART & Démocratie / février 2001